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25ème salon jeune peinture

Jean-Louis Pradel


L'IRRÉDUCTIBLE SURDITÉ AUX VOIX DU SILENCE

Pour une bonne part de la jeune génération, tant des artistes que du public, le Salon de la Jeune Peinture est un des rares rendez-vous qu'il s'agit de ne pas manquer, non pas pour ses mondanités mais bien parce qu'il s'y passe quelque chose. Alors que la plupart des Salons paraissent ouvert au pire éclectisme pour tenter, que des années de bons et loyaux service de l'art et des artistes, d'animer un conformisme, si ce n'est une sclérose, qui par la force de l'habitude et celle d'une étroite bureaucratie de droit divin, a fini de les envahir, la Jeune Peinture, depuis une dizaine d'années tente de porter témoignage de l'art vivant et de son engagement dans un combat politique contre certaines traditions formelles ou esthétiques. Ici, l'expression « Avant-Garde » prend tout son sens. Il ne s'agit pas de participer à cette compétition dérisoire qui fait les beaux jours des institutions officielles, ou para-officielles de galeries fameuses, et d'un marché qui précipitent artificiellement le rythme de la consommation esthétique, le négoce d'art de haute volée retrouvant là celui de la lessive ou de l'électro ménager, pour que marche le commerce, petit par sa mesquinerie, grand par les échanges de devises qu'il provoque.


La Jeune Peinture qui, dès 1965, sortait Paris de la torpeur où le pire académisme abstrait comme le plus ennuyeux formalisme « social » l'avait plongé, sut rester en éveil. Ainsi furent présentées bon nombre d'œuvres « irrécupérables », tant elles allaient à l'encontre d'un « bon goût » sacro-saint qui régnait en maître. En ce moment la bourgeoisie, par l'intermédiaire de ses places fortes, joue de l'histoire de l'art contre l'histoire en réhabilitant les pires facilités académiques dans une catégorie nationaliste, le principal mérite de ces « Caravagesques français » étant de révéler une « bohême » romaine du début du XVIIème siècle comme Montparnasse en connut une au début de ce siècle (sic.), elle se fait le chantre de l' « Hyperréalisme » en multipliant les expositions tapageuses et les éditions racoleuses, et surtout, au CNAC elle use de l'amalgame le plus éhonté et des censures les plus arbitraires pour entretenir la supercherie. Bien que de toute part on veuille l'étouffer, la peinture a un combat à livrer, y compris dans ce champ clos où se terre l'actualité artistique, pour prendre part à celui que les forces révolutionnaires livrent sur le front culturel pour déchirer l'ombre de l'idéologie dominante. Les armes de ce combat ces objets qui sont aux mains des peintres, paraissent dérisoires.


Et pourtant la pratique picturale est exemplaire : mode de production particulièrement conflictuel, il engage l'individu, de la forme au contenu, pour un objet d'une valeur particulièrement fluctuante et pourtant systématiquement surévalué par rapport à sa fonction d'usage. Particulièrement répugnant est justement cet usage qui va du placement spéculatif clandestin à l'apologie des pires méfaits par les propagandes les plus grotesques comme les plus sournoises. Aussi l'œuvre d'art n'est-elle jamais politiquement neutre; encore faut-il l'ancrer suffisamment pour qu'elle échappe aux gloses criticailleuses qui veulent à tout prix, entre autre à celui d'une laborieuse masturbation intellectuelle, l'envoyer dans ce ciel de l'art, qui, pour n'être pas le septième, permet néanmoins aux louis-phillipards décorés et culturés de prendre leur pied au soleil fixe et éternel de l'art pour l'art, au doux murmure des voix du silence. L'ancrage de l'œuvre d'art se situe, bien sûr, au niveau d'un contenu politiquement juste, mais essentiels sont bien les moyens qui le cernent, qui l'inscrivent, et qui le manifestent. Le peintre est d'autant plus un militant capable qu'il maîtrise les signes, les éléments de langage qu'il manipule.


Aussi la réalité de sa propre histoire, à travers une pratique consciente, doit-elle être admise au cœur même de sa production. Être d'autant moins peintre par procuration que l'histoire de la peinture devient l'histoire de sa propre pratique sociale de son métier de peintre. Cette présence du peintre est celle de ses signes autobiographiques mais aussi de cette temporalité, de ce temps vécu, que l'œuvre d'art peut charrier au-delà des apparences narratives ou anecdotiques que peut produire le plus juste slogan. Aujourd'hui, l'enjeu capital est bien l'inscription de cette dimension irréductible d'un vécu qui témoigne de la présence consciente du peintre au monde. A l'imagerie politique sénile héritière des plus pesants académismes il s'agit d'ériger l'acte de peindre en acte irrémédiablement politique, de rendre l'homme maître du langage, l'activisme du faire indissociable du dire. A un moment où les moyens plastiques vont des plus pauvres aux plus savamment sophistiqués, puisse la Jeune Peinture, en dépassant les artificielles querelles d' « écoles », manifester la dimension politique de l'art de peindre en un défi rigoureux aux obscurantismes fallacieux qui servent d'aura aux « affaires » culturelles! manifester les pesanteurs et l'irrémissible engagement des significations ! la présence provocatrice de la peinture dans un monde en crise!


JEAN-LOUIS PRADEL

Paris - Avril 1974

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