J'avais envie d'écrire que l'artiste dont je fais chaque mois le portrait a une signification exemplaire pour son itinéraire et pour ses positions esthétiques. Le mot exemplaire me gêne. Disons typique. Une certaine manière de lier la personnalité stylistique et les questions esthétiques soulevées par l'époque. Ainsi pour Peter Valentiner dont l'histoire est tendue entre l'expression gestuelle et les problèmes formels, entre la liberté et la contrainte.
J'ai connu Valentiner en 1975. Ses tableaux étaient une explosion d'éléments dont l'aspect chaotique contrastait curieusement avec la rigidité du cadre, la froideur de la couleur, une sorte de dureté statique. Valentiner arrivait à un tournant et j'étais curieux de savoir ce qui allait se passer ensuite. Le chaos, même maitrise, introduisait l'aléatoire. Peu à peu la peinture de Valentiner plutôt que de se remplir d'un grand nombre d'éléments, se concentre sur deux ou trois formes en privilégiant la couleur. Très paradoxalement, le tableau gagne en souplesse et en sensibilité. Le paradoxe a une explication : le tableau, plutôt que de tenir son unité d'une maitrise extérieure, la trouve en lui-même. II gagne en simplicité et en rythme réel.
Valentiner est né à Copenhague en 1941 et vit en France depuis I 949. II partage son temps entre Paris et Berlin et enseigne a la Sommer Académie de Trèves (R.F.A).
II commence à peindre à l'âge de 18 ans, lorsqu’il s'inscrit à l'école des Beaux-Arts de Tours parce qu'il y trouve une possibilité de travailler régulièrement, de recevoir un enseignement. II se passionne alors pour Pollock, Nicolas de Staël, Hartung, découvrant après coup en eux son amour d'enfant pour Van Gogh.
A 21 ans, il part vivre quelque temps à Madrid où il rencontre le peintre argentin Alberto Greco, alors célèbre pour ses happenings. II subit l'influence de Cobra et de Saura. Entre 1963 et 1967, il découvre la peinture abstraite et les artistes pop, surtout Warhol et Raysse. La peinture pop lui permet de comprendre la technique américaine des "caches", le "hard edge", c'est-à-dire les "bords durs" découpés sans émotion, tout à fait à l'oppose de l'expressionnisme. Le pop'art le conduit aussi aux couleurs pures et aux a-plats, encore à l'oppose des couleurs "sales" de l'expressionnisme.
En 1969, il crée à Tours le salon Environs qui réunit des peintres de province, encore peu connus à l'époque, tels Viallat, Pages, Bioulès, Clement. II peint alors des "cibles" et des "détectives", personnages traités à la manière de l'iconographie pop. A partir de 1971, il utilise le camouflage, travail sur le leurre en peinture : la peinture ne donne pas seulement à voir, elle cache, elle trompe. II est alors tout près de Support/Surface, des réflexions du moment sur la subversion et la matérialité du travail pictural.
En 1973-74, il commence à créer des trames, des grilles susceptibles de recevoir des variations de couleurs. Cette grille fonctionne comme contrainte, elle constitue le sujet du tableau. II définit sa peinture de cette époque comme "un mélange de Vasarely et de Morris Louis". La grille entraîne de grands formats. Puis en 75, plus de grille, le désordre, le chaos. Le chaos qui a évolué vers sa peinture actuelle dont j'ai pu voir à Cologne les dernières œuvres : larges, amples, chromatiques, libres.
Voilà comment Valentiner a gagné la liberté et comment aujourd'hui il comprend que les grandes questions posées par les avant-gardes et le cubisme sont déjà, selon lui, traitées par Raphael par exemple. Ah bon !
Richard Crevier
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